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Carnaval de Venise et Casanova

En 1725, né Giacomo Girolamo Casanova.


Âgé d'une soixantaine d'années, il entreprit de rédiger ses mémoires, Histoire de ma vie, dans lesquels il relata les cinquante premières années de sa vie. L’exposition détaillée de ses souvenirs candides remontent jusqu’à son enfance, révélant l’influence de sa ville natale sur ses aventures.

Le petit Giacomo était confié à sa grand-mère, Marzia Farussi. Tous deux étaient très soudés et très attachés l’un à l’autre et c’est principalement à Marzia que Casanova dut son éducation, empreinte de l’influence vénitienne.

L’un des premiers souvenirs de Casanova concerne sa grand-mère, alors qu’elle l’emmenait consulter une sorcière locale pour soigner une indéfectible série de saignements de nez. Il décrivit dans ses mémoires un rituel magique empli de suspense et de mystère lors duquel une vieille dame l’enferma dans un coffre magique, récita quelques incantations, le libéra et l’enduit d’onguent. Le saignement ne s’arrêterait, le prévint sa grand-mère, qu’à la condition qu’il gardât ce rituel secret. La sorcellerie était interdite par l’Église catholique et la soigneuse aurait pu faire l’objet de persécutions pour ses services.

Son père mourut quand il n’avait que 8 ans et il fut envoyé en pension à Padoue l’année suivante. Sa mère vécut quatre décennies de plus mais sa connexion avec Casanova demeura ténue ; elle ne se remaria pas après la mort de Gaetano et continua à travailler comme comédienne à travers l’Europe. Alors que Casanova avait 10 ans, elle quitta définitivement Venise pour s’installer à Dresde.

Les premières années de Casanova à Venise furent bercées par le théâtre et la magie, deux disciplines jonglant avec l’illusion et la réalité. Ces influences alimentèrent les aptitudes et les intérêts du jeune garçon. Doué pour l’improvisation, il faisait preuve de répartie, une qualité qui le servit toute sa vie. Il toucha brièvement à la magie noire, ce qui alimenta sa curiosité pour la religion. S'entamèrent alors une exploration éternelle de la foi et une remise en question des doctrines sacrées, qui se traduisirent par un premier choix de carrière bien inattendu pour le jeune homme.

Après avoir obtenu son diplôme universitaire à l'âge de 16 ans, Casanova, à la surprise de ses voisins, retourna à Venise en tant que jeune abbé, où il fut assigné à l’église San Samuele. Même pour quelqu’un comme lui, qui ne semblait pas avoir pour vocation de mener une carrière ecclésiastique, une vie d’homme d’église lui donna l’opportunité de grimper l’échelle sociale vénitienne. Ayant hérité du don de ses parents pour l’art dramatique, il attira très vite l'attention avec ses sermons charismatiques et souvent incompréhensibles.

Le port de la soutane combiné à ses études de lettres classiques dans lesquelles il avait excellé, (c’était un fervent admirateur de Horace, dont il connaissait les vers par cœur) ouvrirent à Casanova les portes de la haute société vénitienne. Malgré ses humbles origines, il possédait un esprit vif et des manières raffinées. Il incarnait le paradoxe de Venise : une société célébrée pour sa nobilité, cependant dépendante des classes populaires et de l’initiative commerciale bourgeoise.

L'avancée sociale de Casanova fut permise par l’interaction naturelle qu’il y avait entre les classes, en dépit de la division de la société vénitienne. Dans les rues et les parcs, les nobles se mêlaient à la bourgeoisie et aux membres de l’église. L’aristocratie vénitienne avait une certaine proximité avec la classe populaire.

Casanova perçut la barrière sociale comme poreuse et attendit le moment opportun pour s’y infiltrer et gravir les échelons. Jeune et impétueux, il abandonna bien vite son rôle d’abbé comme il le dit dans ses mémoires :« Mon amour pour Angela me fut fatal, car il fut cause de deux autres qui, à leur tour, en amenèrent beaucoup d’autres et qui finirent par me faire renoncer à l’état ecclésiastique. » Il fit un bref passage à l’armée et retourna à Venise où il commença à gagner sa vie en tant que violoniste.

Bien qu'il fût talentueux, charmant, et doté d’une volonté de fer, il aurait pu traverser l’histoire dans l’indifférence générale s’il n’avait pas un jour aperçu dans la rue un sénateur en robe rouge, en proie à une crise cardiaque. Casanova se pressa de lui porter secours, le ramena chez lui et resta à ses côtés, même après l’arrivée des médecins et de ses proches. L’homme en question, n’était autre que Matteo Bragadin, un politicien membre du plus important cercle de la noblesse vénitienne.

Après sa convalescence, Bragadin affirma qu’il devait sa vie à ce jeune homme venu lui porter secours. Casanova capitalisa sur cette ouverture inattendue et commença à asseoir son influence sur Bragadin et son cercle d’amis : « Je parlais en physicien, je dogmatisais, je citais des auteurs que je n’avais jamais lus. » Il reproduisait aussi des tours de magie que lui avait enseignés sa grand-mère.

L'intérêt de Casanova pour la religion séduisit le cercle de Bragadin, d’autant plus que l’étude de la Cabale, qu’il maitrisait alors, était en vogue à Venise à cette époque. Au 18e siècle, le rationalisme et l’occultisme de Venise ne firent plus qu'un et Casanova usa de son intelligence et de son charme pour favoriser son ascension sociale.

Bragadin fut tellement impressionné par le jeune homme qu’il le prit sous son aile. Casanova, qui était profondément attaché au politicien, s’installa dans la demeure de ce dernier où il put s’ancrer plus solidement encore dans les hautes sphères de la société vénitienne : on lui payait ses factures et une potentielle vie aristocratique lui tendait les bras. À cette époque, Casanova avait une taille imposante, était attrayant et cultivé. Il était à l’aise avec des gens de tous milieux (les gens du peuple, le clergé, et une désormais la noblesse). Une qualité rare qui lui valut d’être très apprécié dans la société vénitienne.

Casanova avait cependant le sentiment inquiétant d'être maintenu en marge du cercle dans lequel il évoluait, comme un bouffon exploité pour son esprit mais jamais pleinement accepté. Il était frustré du fait d’être exclu de la hiérarchie établie par le droit d’aînesse, ce qu’il formula ainsi dans ses mémoires : « Respectez cet homme qui donne à la noblesse une définition que vous ne comprenez pas. Il ne dit point qu’elle consiste dans une suite de générations de père en fils dont il est lui-même le dernier hoir ; car il rit des généalogies… »

Casanova est peut-être surtout célèbre pour ses jeux de séduction, ses scandales sexuels et ses liaisons amoureuses. Ses mémoires décrivent fièrement ses rencontres avec un grand nombre de femmes d’âges divers, le tout de manière très détaillée ; nombre de ses récits choquent encore les lecteurs modernes. Le biographe de Casanova, Leo Damrosch, explique que « sa carrière de séducteur, déjà bien connue à l’époque, est souvent perturbante et parfois très sombre. » Aujourd’hui, nombre de ses interactions seraient aux mieux qualifiés d’immorales, au pire, de criminelles ; d’où la nécessité de lire ces mémoires avec un regard critique. Le point de vue des femmes est très peu évoqué ce qui ne donne accès au lecteur qu’à une seule version de l’histoire.

L’une des principales liaisons amoureuses de Casanova eut lieu avec une none, qu’il désigna dans ses mémoires par les initiales « M.M. » En réalité, Casanova n’était pas l’unique amant de M.M. puisqu’elle était déjà l’amante d’un diplomate religieux français. Qu’à cela ne tienne, Casanova leur organisa un rendez-vous à tous les trois, auquel il convia également l’une de ses anciennes maîtresses.

Casanova était dans son élément au sein de la ville de débauche qu’était Venise. Il passa une grande partie de son temps dans et aux alentours des théâtres vénitiens, des lieux qui étaient familiers à ce fils de comédiens et où les rencontres avec les femmes se trouvaient facilitées.
Casanova dit plus tard de cette jeune version de lui-même : « Neuf encore, j’avais de l’éloignement pour les dames, et ma niaiserie allait jusqu’à être jaloux de leurs époux. » Ce personnage fut rapidement remplacé par un autre, plus confiant, plus prédateur mais avec un sentiment persistant d'anxiété de classe. Alors que Casanova profitait des théâtres de Venise en quête de liaisons amoureuses, il se retrouva tiraillé entre ses origines modestes et la haute société qu’il fréquentait désormais. Il était plus à l’aise avec les femmes du peuple, en particulier les très jeunes, dont surtout les adolescentes âgées de 14 à 18 ans.

Le Carnaval, partie intégrante de la vie vénitienne, était un contexte qui se prêtait à la fois à la mobilité sociale et à la promiscuité sexuelle.
Au 18e siècle, le Carnaval débutait en octobre et durait minimum cinq mois. Les noceurs masqués remplissaient les rues, donnant l’opportunité à chacun d’incarner qui bon lui semblait : une aubaine, pour un escroc comme Casanova. Il a beaucoup écrit sur les costumes qu’il portait et qui lui permettaient de se faufiler dans la ville. Au milieu des aristocrates, ses costumes le faisaient se sentir plus à l’aise. Parmi les gens ordinaires, ils lui prêtaient un air de mystère. Le déguisement s'avéra être la clé de nombre de ses aventures.

Le cœur des festivités avait lieu place Saint-Marc. Étaient organisés ici des comédies, des concerts et des pièces de théâtre sur des scènes improvisées ainsi que des combats de lutte et des matchs de boxe. Les astrologues et les charlatans, désireux d’échanger de l’argent contre des présages de bonne fortune, se mêlaient aux bambocheurs. Des spectacles de divertissement grotesques étaient organisés comme des ours attachés à un poteau par une chaîne accrochée à leur palais et des combats de chats enfermés dans des cages.

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