6 Mars 2025
Entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, une nouvelle génération de jeunes anthropologues américains, en mission sur les terres voisines d’Amérique centrale et du Sud, commence à changer de regard sur les chamanes, à leur porter une écoute attentive et à considérer leur savoir et leurs récits comme de l’information brute ayant une valeur empirique. Décidant de prendre les récits des chamanes au sérieux – sans imposer d’interprétation dépréciative -, ils vont progressivement s’ouvrir à l’observation participative. Pour mieux saisir les dires des chamanes et de leurs patients, ils ne vont plus rester de simples observateurs mais s’impliquer dans les activités des communautés qu’ils étudient. En Amérique latine, le chamanisme est végétal, c’est-à-dire que le chamane est avant tout en commerce avec les esprits des plantes qui lui permettent. Voir, savoir, pouvoir, trois verbes clés qui orientent les différentes phases de l’apprentissage et de la pratique chamanique.
C’est en prenant part aux cérémonies chamaniques et en ingérant, pour la première fois, des plantes psychoactives que les spécialistes occidentaux découvrent la réalité des visions décrites par les chamanes.
Un breuvage appelé ayahuasca, liane de l’âme en quechua – chez les Conibo en Amazonie. Une condition sine qua non pour comprendre. Des visions foisonnantes rappellent étrangement des scènes décrites dans l’Apocalypse.
Ces hallucinations peuvent être interprétées et rejetées comme des fantasmagories insensées produites par des substances qui ne feraient qu’affecter le cerveau.
Ou reflètent-elles objectivement des dimensions existantes de la réalité, qui ne sont pas accessibles en état de conscience ordinaires ?
Les chamanes ont accès aux visions d’apocalypse et apparemment ces hallucinations étaient à la source de leur savoir, elles faisaient même partie intégrante de leur cosmologie.
D’autres observateurs occidentaux décident de participer eux aussi à des cérémonies chamaniques, utilisant des plantes dites enthéogènes, comme l’ayahuasca mais aussi le san pedro et le peyotl, deux cactus psychoactifs, ou encore les psilocybes (chair des dieux), plus communément appelés champignons hallucinogènes. Ils découvrent alors qu’il est possible de vivre des expériences similaires décrites par les chamanes.
Des millions d’individus s’intéresseront au chamanisme. D’abord aux Etats-Unis, puis dans le monde entier. Récupérés par le mouvement New Age, des milliers de hippies useront – et abuseront – des champignons magiques et du peyotl, principales plantes visionnaires utilisées par les peuples indigènes du Mexique, non pas parce qu’ils sont malades, non pas pour être soignés mais pour, disent-ils, explorer les mondes invisibles, trouver Dieu, ressentir l’amour universel et atteindre l’extase.
C’est l’ayahuasca qui a obtenu la faveur des pays du Nord, en particulier des Européens.
Interrogés ces expérimentateurs évoquent, en effet, souvent l’idée de vouloir se retrouver, se reconnecter à leur être profond, à quelque chose d’essentiel dont la société les a coupés. Trouver un sens à leur vie. Quitter un état dépressif latent. Percevoir ce lien qui nous unit à tout ce qui vit, être plus centrés en se débarrassant de leurs blocages, de leurs douleurs et leurs traumatismes, en s’essayant au voyage intérieur, en explorant le coeur de leur conscience, et en se reliant à celle de l’Univers… Les expérience de transe, assez corporelles, permettent de redécouvrir l’animal en soi, elles reconnectent le corps à la tête.
La nature la plus intense de la planète, des peuples qui savent encore faire des rites de passage et des initiations, et des plantes qui ont une grande capacité de modifier la conscience.
Le chamane peut devenir un personnage extrêmement attractif, du fait du vide spirituel et de l’insatisfaction des gens à l’égard de la religion traditionnelle. Le chamanisme est l’expérience religieuse par excellence. Le chamane et lui seul est le grand maître de l’extase.
Un renversement de situation qui révèle un besoin irrépressible de vivre des expériences mystiques et psycho-spirituelles. Mais ne seraient-elles pas finalement constitutives de l’être humain ?
L’aspect thérapeutique de ces pratiques ancestrales basées sur les états modifiés de conscience interpelle, des méthodes de soins alternatives, rapides et efficaces.