31 Mai 2025
En Sibérie, en Mongolie, contrées que l’on considère comme la source originelle du chamanisme, les peuples traditionnels prétendent que le monde de la matière dans lequel nous vivons est contrôlé par les esprits de la nature et par de nombreuses forces spirituelles invisibles qui exercent leur influence sur le monde physique.
Les esprits de la terre, du ciel et de l’eau entretiendraient avec les humains une relation étroite et exigeante. Ce sont eux, disent-ils, qui gèrent le destin des hommes, et font la pluie et le beau temps.
S’il n’y a plus d’élans à chasser, si le sol reste trop longtemps gelé, si une personne est malade ou stérile, si l’on s’est fait voler son troupeau ou s’il est frappé d’une épidémie, il faut chercher la cause dans le monde des esprits. La raison la plus courante, c’est qu’on a dérangé l’harmonie du monde : négligé un rituel, enfreint un tabou, malmené ses animaux, mangé une nourriture interdite ou fait fi des signes que les esprits envoient pour montrer la marche à suivre.
Ces transgressions amènent ce que les Mongols appellent le buzar, qu’ils estiment à l’origine d’une infortune, de maladies…
Au rythme du tambour le chamane va alors entrer en transe pour apporter des réponses à ce déséquilibre en communiquant avec ces esprits. Il va leur demander la cause de cette harmonie perdue, et restaurer la relation entre le monde des esprits et le monde des humains – une famille ou une communauté – en nettoyant ce buzar. Ici, on ne parle pas de guérison mais de réparation.
Dans la pénombre d’une tente à peine éclairée, le chamane, après avoir revêtu un costume orné de symboles qui le protégera lors de son voyage, frappe de toutes ses forces sur son lourd cylindre en peau. Son moteur, son cheval. De nombreuses personnes viennent assister à la cérémonie, le ou les patients, bien sûr, mais aussi certains membres de la famille ou de la communauté.
Le rituel commence par un rythme de tambour assez lent, et une invocation chantée lui servant à appeler les esprits.
Peu à peu, les battements du tambour s’accélèrent pour devenir de plus en plus cadencés, presque sauvages.
Le chamane s’agite soudain frénétiquement, parcourt la tente en tous sens, et psalmodie des mots incompréhensibles.
Le voyage dans l’autre monde commence. Quand sa conscience a atteint d’autres réalités, il va converser avec les esprits pour trouver les informations dont il a besoin.
En Mongolie, chaque chamane est possédé par différents esprits. Et c’est la puissance de ces esprits qui donne au chamane son pouvoir. Lui a juste la capacité d’entrer en transe.
Un chamane confirmé peut ainsi avoir trente ou quarante esprits qui viennent le visiter.
La transformation en animal et en différentes entités se fait systématiquement dès qu’on accède à la transe qui changent en fonction d’une situation donnée.
Le loup, par exemple, apparaît quand il y a un danger, pour chasser ce que le chamane perçoit comme une dissonance.
Lorsque l’on rentre en transe avec le son du tambour, cela veut dire que les esprits vous désignent pour devenir chamane.
Un chamane doit demander l’avis à esprit, un chamane ne décide rien de son propre chef. De même qu’il ne vous enseigne jamais rien directement. Son ego ne compte pas, seuls les esprits sont décisionnaires.
Un nouveau chamane ne peux pas partir, il doit être initié. Car les chamane vous avertissent : si vous désobéissez à ce que les esprits ont décidé pour vous, vous subirez une succession de malheurs ou de problèmes de santé que les Tsataans appellent la maladie chamanique. Elle peut se manifester sous la forme de crises d’épilepsie, de troubles d’ordre psychiatrique, de pertes de connaissance… On a beau ne pas être de nature superstitieuse, cela reste très persuasif.
Ces traditions chamaniques vieilles de sept mille ans, correspondent à une réalité. Derrière leur langage symbolique, issu de leur culture, se cachent des éléments importants qui peuvent faire avancer la science.
Le chamane une fois en transe ne ressent plus aucune douleur. Ses forces physiques sont décuplées, ses sens exacerbés. Il perd également toute notion d’espace et de temps.
Le tambour pèse environ huit kilos, mais cet état de conscience modifiée donne une puissance étonnante et diminue la perception de la douleur.
Le chamane peut voir les yeux fermés des animaux, des visages, des images, des couleurs, des représentations géométriques, des chaînes de causes à effets, à la fois évidentes et impossibles à expliquer.
L’essentiel est que, sans le moindre mot, toute question qui lui vient à l’esprit semble aussitôt trouver sa réponse.
En fait, tout se passe comme si la transe éveillait en son for une formidable intuition. Il peut obtenir des informations très précises sur l’histoire de la personne. Plus étonnant encore, la matière disparaît. Un corps humain n’est plus enfermé dans sa peau mais devient une sorte d’espace dont le contour s’étend bien au-delà de sa surface habituelle.
Le chamane y voit des zones fluides ou bloquées, sur lesquelles il ressent le besoin incontrôlable d’agir. Comme si soudain son cerveau s’ouvrait à des capacités inconnues, plus subtiles. A une sorte d’hyperintelligence perceptive lui permettant de résoudre un problème donné, en révélant ce qu’il ne savait pas sur le patient. Il voit aussi un phénomène dit de dépersonnalisation, en adoptant les attitudes d’un animal, souvent le loup. Il renifle les zones dysharmoniques du patient. Ses mains y répondent par des signes, des danses. Parfois, il se met à discuter avec tout un tas d’entités. Sa bouche souffle, prononce des langages inconnus, des chants ou des sons qu’il est bien incapable de reproduire dans un état de conscience ordinaire. Il a la perception absolue de ce qu’il se passe mais son mental et son corps ne contrôlent plus rien.
Si les personnes qui viennent consulter un chamane en Mongolie ne sont pas supposés entrer en transe, il arrive qu’au son du tambour ou avec des chants elles fassent l’expérience d’un état modifié de conscience. Cela a parfois déclenché des réactions violentes, de crise psychotique. Mais le plus étonnant est de constater que les sons et les chants émis en réponse à cette réaction les font systématiquement sortir de la crise.
Les premiers temps, la plus grande difficulté est de comprendre le sens de cette technique de transe chamanique et la réalité de ce monde invisible. D’admettre l’inexplicable, d’accepter de vivre des expériences que l’esprit rationnel et matérialiste ne pouvait croire, encore moins expliquer. Et de faire confiance à son intuition. Il est difficile de saisir ce langage symbolique auquel on n’est pas habitué, de se défaire d’une logique que l’éducation a façonnée depuis la naissance et qu’il est difficile de remettre en question. Tant que l’on n’a pas vécu une transe, personne ne pourra vraiment vous dire ce que vous allez ressentir.